AH ! AH ! AH ! Chronique de Jacques Nikonoff du 16 janvier 2012

Publié le par maligorn gouez

AH ! AH ! AH ! 

Chronique de

Jacques Nikonoff

du 16 janvier 2012

 


 

Texte intégral

 


Les agences de notation ont été créées pour servir les marchés financiers, les États leur ont confié un rôle quasi institutionnel

Depuis plusieurs mois, et singulièrement depuis le 13 janvier 2012, les principaux dirigeants politiques, toutes tendances confondues, jouent au jeu du chamboule-tout avec les agences de notation. C’est à celui qui sortira un bon mot avant tous les autres. L’exercice est facile tant ces agences ont accumulé les erreurs en ne voyant pas venir les crises : celle du Mexique, Enron, les subprimes...

Pour autant, ces agences font-elles la politique économique à la place des gouvernements et sont-elles la cause de la crise ? Absolument pas. Elles ne sont qu’un thermomètre qui mesure la solvabilité des émetteurs d’obligations. Il faut donc taper sur les vrais coupables de la crise : les marchés financiers et leur allié fidèle qu’est l’Union européenne, au moyen de son instrument l’euro. C’est pour masquer la responsabilité de l’Union européenne et de l’euro que les agences de notation sont mises sur le devant de la scène…

Les investisseurs, particulièrement les investisseurs institutionnels (les « zinzins » : fonds de pension, fonds mutuels, compagnies d’assurance, fonds d’investissement…), ont besoin des agences de notation pour accéder rapidement, à un coût abordable, à une hiérarchisation des risques présentés par les émetteurs d’obligations (États, grandes entreprises, collectivités locales et autres émetteurs publics…). Certes, ils pourraient se doter de leurs propres moyens d’analyse. Mais ce serait beaucoup plus coûteux que d’utiliser les services d’agences spécialisées. Au demeurant, si ces agences n’existaient pas, les « zinzins » recréeraient en leur sein de mini-agences de notation pour guider leurs placements. Que diraient alors ceux qui se focalisent sur les agences de notation ?

Quant aux émetteurs d’obligations (par exemple les Bons du Trésor pour les États), ils ont besoin de placer leurs titres, et la notation fait partie de l’argumentaire commercial sur la qualité du « produit ». Car rares sont les investisseurs institutionnels qui achèteraient des titres obligataires qui ne sont pas notés. Il est donc tout à fait logique que ce soient les émetteurs qui payent les agences dans le cadre du système actuel. Les « zinzins », pour leurs stratégies de gestion de portefeuille, répartissent les risques entre actions et obligations, mais aussi à l’intérieur des obligations en se fixant des proportions d’obligations réputées sans risque (notées AAA) et d’autres avec plus de risque (par exemple BBB).

Les investisseurs institutionnels ont donc absolument besoin de mesurer les risques d’une créance par rapport à une autre, c’est-à-dire savoir à qui on peut prêter de l’argent avec confiance (acheter des titres obligataires). Demander la suppression de ces agences tout en restant dans le système n’a aucun sens. Ce qu’il faut supprimer, c’est le marché obligataire lui-même, c’est-à-dire le financement des États (et des grandes entreprises) par les marchés financiers.

Quand les agences se trompent, et cela leur arrive souvent, ce n’est pas un problème pour les marchés financiers. Ce qui compte pour eux, c’est que tout le monde se trompe en même temps. Dès lors aucun d’entre eux, a priori, ne peut profiter de l’erreur.

La moindre des choses est de rappeler que ce sont les États, l’Union européenne et les institutions multilatérales qui ont donné beaucoup de pouvoir aux agences de notation. C’était logique puisque qu’ils ont donné beaucoup de pouvoir aux marchés financiers. Ainsi les réglementations ont intégré les notes financières, les États donnant aux agences un statut quasi-institutionnel d’auxiliaire des pouvoirs publics. Par exemple, la qualité des fonds propres des banques et des titres déposés par les banques en garantie auprès des banques centrales (et notamment à la Banque centrale européenne), est déterminée par les notes des agences …

Assez de ces fausses indignations ! Si les responsables politiques font mine de protester, se sont eux qui ont pourtant légitimé les agences de notation !

Le traité de Lisbonne adoube les agences de notation en son article 123 TCE selon lequel « il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres […] d’accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite ».

Cet article fait écho à la loi de 1973 en France qui a ouvert la voie aux agences de notation puisque la Banque de France (et les autres banques centrales de l’Union européenne) a été interdite de prêter au Trésor, avec ou sans intérêt. Il fallait donc faire passer le financement de l’État par les marchés financiers, avec tout ce que cela comporte, et notamment avec les agences de notation. Aucun programme des candidats à l’élection présidentielle – aucun ! – ne propose d’abroger la loi de 1973…

La gauche devrait écouter les arguments de S&P car ils constituent une remise en cause totale des conceptions prévalant au sein de l’Union européenne. C’est tout le système de l’euro qui est dénoncé. L’euro, au lieu d’unir, divise ; au lieu de faire converger, fait diverger.

Standard & Poor’s a baissé la note financière de neuf pays de la zone euro au motif parfaitement justifié que les oligarques européens étaient incapables de résoudre la crise qu’ils avaient eux-mêmes provoquée

En lisant les déclarations de certains dirigeants politiques et les commentaires de grands médias, on peut se demander s’ils ont bien lu les motifs avancés par S&P pour justifier l’abaissement en cascade de ces notes. On comprend pourquoi, car l’agence passe au lance-flamme les politiques issues des traités de Maastricht et de Lisbonne. La gauche – la vraie gauche – aurait quasiment pu écrire le communiqué rédigé par S&P !

Dans son communiqué de presse du 13 janvier, 16h à Paris, S&P résume la situation ainsi : « Standard & Poor’s abaisse la note à long terme non sollicitée de la République française à AA+ […] Cet abaissement traduit notre opinion sur l’impact des difficultés croissantes de la zone euro à laquelle la France est étroitement intégrée dans les domaines politique, financier et monétaire ». Dans son « argumentaire », l’agence précise que « L’issue du sommet de l’Union européenne du 9 décembre 2011 et les déclarations ultérieures des différents responsables politiques ont conduit à considérer que l’accord obtenu ne constituait pas une avancée suffisamment importante, ni dans son étendue, ni dans son montant, pour permettre de résoudre les difficultés financières de la zone euro ».

Qui, à gauche, ne partagerait pas cette analyse ? L’agence ajoute « cet accord se base sur un diagnostic incomplet des causes de la crise, à savoir que les turbulences financières actuelles proviendraient essentiellement du laxisme budgétaire de la périphérie de la zone euro. Nous pensons pour notre part que les problèmes financiers auxquels la zone doit faire face sont au moins autant la conséquence de l’accroissement de déséquilibres extérieurs et de divergences en matière de compétitivité entre les pays du noyau dur de la zone et les pays dits périphériques ».

Cette analyse remet en cause tout le discours convenu des oligarques européens et des médias qui ont principalement mis l’accent sur la dette publique en oubliant la dette externe qui est constituée par les déficits commerciaux. Rappelons que les dettes publiques se remboursent si le pays concerné a des excédents commerciaux. Lorsqu’un pays a un déficit de sa balance des paiements (un déficit commercial pour dire vite), cela signifie qu’il consomme plus qu’il ne produit. Si, en outre, il a une dette publique ou privée, les marchés comprennent immédiatement que ce pays éprouvera de plus en plus de difficultés à rembourser et que ses taux d’intérêt auront tendance à monter.

L’agence précise : « Un processus de réformes basé sur le seul pilier de l’austérité budgétaire risque d’aller à l’encontre du but recherché ». La Grèce en fournit un excellent exemple. L’abaissement de la note financière de ces neuf pays est donc parfaitement logique.

Pour les milieux financiers, ces abaissements de note sont un non-évènement, ils les avaient anticipés depuis plusieurs mois. Concernant la France, S&P dénonce le poids des banques dans l’économie et les risques qu’elles font peser sur les finances publiques. Elle a raison ! Les marchés avaient ainsi déjà demandé des taux plus élevés. S’agit-il de leur part de « prophéties auto-réalisatrices » comme on peut le lire et l’entendre depuis vendredi soir ? Absolument pas ! Les fondamentaux de la France et de l’Allemagne étaient devenus de plus en plus divergents : sur le plan des taux d’intérêt (l’Allemagne emprunte désormais presque deux fois moins cher que la France : le 5 janvier 2012, le 10 ans français était à 3,40%, alors que le taux allemand était de 2,10%) ; sur le plan de l’endettement public (5,5% du PIB pour la France et 1% pour l’Allemagne) ; et surtout sur le plan du commerce extérieur (75 milliards d’euros de déficit pour la France, 160 milliards d’excédents pour l’Allemagne). Ainsi les marchés avaient intégré le fait que la France empruntait à des taux identiques à ceux de pays notés BBB+.

La crise générale de l’euro va s’aggraver, particulièrement pour la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie… et la France !

Tout le monde se demande, à juste titre, ce qui va se passer après l’abaissement de la note de ces neufs pays. Il faut, à cet égard, distinguer les conséquences dans la zone euro, en France et dans les autres pays.

Dans la zone euro, les marges de manœuvre des oligarques européens vont se réduire encore un peu plus, les contradictions vont s’aiguiser, les divisions vont s’amplifier. Plus que jamais les jours de la zone euro restent comptés. Celle-ci ne peut plus fonctionner avec de telles divergences politiques et de situation économique, qu’il s’agisse des dettes publiques, des taux d’intérêt, des balances des paiements. L’euro est un greffon en cours de rejet.

Il ne fait aucun doute que l’augmentation des taux d’intérêt ira crescendo. De nouvelles coupes budgétaires sont donc à prévoir, alimentant la récession économique et le chômage, source de toutes les inégalités.

Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) va perdre son triple A. C’est tout à fait logique puisque les emprunts réalisés par ce fonds sont garantis par les pays membres de la zone euro. Il suffit que ces pays voient leur note financière abaissée pour que la sienne baisse aussi mécaniquement. Dans la réalité, comme pour la France et d’autres pays, pour les marchés, le FESF avait déjà perdu son triple A puisque son taux à 10 ans était de 3,35% contre 3,26% pour le 10 ans français. D’ailleurs S&P avait annoncé qu’elle abaisserait la note financière du fonds au niveau de la plus mauvaise note des 6 pays encore notés AAA. Dans sa structure actuelle le FESF est constitué de garanties de 14 pays de la zone euro n’en étant pas eux-mêmes bénéficiaires (seuls l’Irlande, la Grèce et le Portugal n’en font logiquement pas partie). Quand le fonds a besoin d’argent pour « aider » ces trois pays, il emprunte sur les marchés de capitaux. Avec la perte du triple A par la France et l’Autriche, les sommes garanties tombent de 451 milliards d’euros à une somme comprise entre 271 et 360 milliards selon les sources, les trois quarts étant garantis par l’Allemagne. Cela signifie que les besoins actuels de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal seront juste couverts. Mais rien n’est prévu pour faire face à l’impossibilité d’emprunter sur les marchés financiers dans laquelle se trouveront cette année l’Italie d’abord puis l’Espagne. L’autre solution serait de renforcer les moyens du FESF, mais les dirigeants Allemands le refuseront.

Enfin, la dernière conséquence que l’on peut observer est une nouvelle érosion de la force propulsive du couple franco-allemand. Ainsi madame Merkel n’invite pas Nicolas Sarkozy le 19 janvier à un « échange informel sur l’Europe » avec les dirigeants portugais, suédois et autrichiens. D’autres réunions de ce type sont prévues par la Chancelière, seule. Tout ceci, il y a quelques jours encore, aurait été impensable sans la présence de Nicolas Sarkozy… L’Allemagne est le grand gagnant, à court terme.

En France, le coût de la dette publique va augmenter. En 2012, la France va emprunter environ 180 milliards d’euros sur le marché obligataire. Si le taux d’intérêt augmente de 1%, cela coutera entre 2,5 et 3 milliards d’euros de plus par an la première année, 4 milliards la deuxième année, avant d’atteindre 15 milliards en 2017. C’est l’équivalent du budget de la Culture… En 2012 la loi de Finances a prévu 48 milliards d’euros de dépenses de charge de la dette, c’est-à-dire le deuxième poste de dépense du budget après l’Éducation (62 milliards) et avant la Défense (38 milliards). Pour preuve que le gouvernement avait lui aussi anticipé l’abaissement de la note financière de la France : il a prévu un taux moyen d’emprunt de 3,7% en 2012 dans la loi de Finances, alors que le taux actuel n’est que de 3,26%.

Un effet domino va s’enclencher. Toutes les entités qui bénéficient de la garantie de l’État vont voir leur note financière baisser automatiquement (CADES, Réseau ferré de France, SNCF, EDF, Aéroports de Paris, Caisse nationale des autoroutes, Caisse des dépôts…). Des hausses de tarifs sont probables. Idem pour les collectivités locales, Paris et la région Île-de-France ont déjà vu leur note financière baisser. Il existe en France 28 entités locales notées par S&P, dont 8 notées AAA. Elles perdront cette note.

Les banques françaises vont continuer leur chute, leur note sera abaissée. Le financement de l’économie, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises s’en trouvera réduit, aggravant la faiblesse de la croissance économique et augmentant le chômage. Les compagnies d’assurance, qui achètent beaucoup de titres de dette publique, commenceront à être frappées plus sévèrement.

Pour retrouver un triple A, il faut attendre en moyenne entre 10 et 18 ans. Encore que le mot « attendre » ne soit pas approprié car la condition mise à la récupération de cette note est l’austérité permanente. C’est ce qui s’est passé pour les pays concernés : Australie, Canada, Danemark, Finlande, Suède.

Si les deux autres agences de notation, Moody’s et Fitch, suivent S&P, ce qui est très probable, la situation s’aggravera encore.

Les autres pays connaîtront les mêmes difficultés que celles qui viennent d’être décrites pour la France, mais à une échelle plus vaste.

L’Espagne et surtout l’Italie connaissent une situation beaucoup plus inquiétante que la perte du AAA par la France. Ces deux pays perdent deux crans, leurs taux d’intérêt vont continuer à augmenter. À un moment ou à un autre, cette année, ils devront faire appel au FESF et au FMI. Mais comme la notation financière du FESF sera dégradée, ce dernier ne pourra pas faire face, plongeant l’Union européenne et la zone euro dans une nouvelle crise, peut-être la dernière avant l’explosion. L’Italie, en effet, a besoin de 130 milliards d’euros d’ici avril et de 300 milliards sur l’année. Même si le FESF trouvait des ressources, les prêts accordés à l’Italie et aux autres pays qui ne manqueront pas d’être concernés seront plus chers. Par ailleurs, la BCE n’achètera pas de titres de dette publique de l’Italie et de l’Espagne sur le marché secondaire car les dirigeants allemands y sont opposés.

C’est cette année que la Grèce devrait être conduite à sortir de l’euro, seule solution pour mettre un terme à la crise qui la dévaste. La Grèce a besoin de 14,5 milliards d’euros en mars pour rembourser une émission obligataire arrivant à échéance, 100 milliards pour les 3 ans qui viennent.

Pour sortir de la crise, l’annulation de la dette, la fermeture du marché obligataire et la sortie de l’euro sont des moyens indispensables, même s’ils ne sont pas suffisants

Ces mesures ont été détaillées dans le livre « Sortons de l’euro ! Restituer la souveraineté au peuple » (Mille et une nuits, 2011). Plus que jamais, dans chaque pays, la seule solution pour mettre un terme à la crise économique, sociale, politique, morale, passe par la sortie de l’euro. Certes, sortir de l’euro ne suffira pas, mais cette décision politique capitale est absolument indispensable car il n’existe aucune solution dans le cadre de l’euro, si ce n’est l’austérité et même la pauvreté et le retour à des régimes autoritaires pour deux ou trois générations.

Il faut annoncer le défaut. Autrement dit, il faut cesser de rembourser la dette, sans tergiversations et sans délais. C’est ce qui inversera le rapport des forces entre créanciers et créditeurs et mettra le gouvernement en position favorable par rapport aux créanciers. Le défaut autorise ensuite la restructuration de la dette qui doit se traduire par un remboursement total des petits et moyens porteurs qui ne sont pour rien dans la crise et qui n’ont aucune raison d’être sanctionnés. En revanche, deux solutions s’offrent pour le traitement des banques et compagnies d’assurance. Soit une annulation pure et simple pour celles qui ont spéculé (pourquoi faudrait-il rembourser les spéculateurs ?) ; soit un remboursement total ou partielle mais en francs à partir d’une avance au Trésor consentie par la Banque de France. L’annulation de la dette permet d’arrêter immédiatement les plans d’austérité et, mieux encore, de relancer le progrès social.

Cependant, l’annulation de la dette et des plans d’austérité aura pour conséquence le rejet de la France hors des marchés financiers qui ne voudront plus lui prêter. C’est excellent !

Financer les besoins de trésorerie de l’État et ses besoins d’investissements devra donc être assuré par l’épargne des Français, la fiscalité, l’achat obligatoire de titres d’État par les banques et compagnies d’assurance, et des avances, remboursables ou non, avec ou sans intérêt, de la Banque de France. L’instrument monétaire, toutefois, a été aujourd’hui retiré des prérogatives politiques du gouvernement pour être remis dans les mains d’ "experts indépendants" (en réalité des agents des marchés financiers). Il faudra par conséquent que le gouvernement réquisitionne la Banque de France et s’oppose ainsi, frontalement, aux dogmes du FMI et au traité de Lisbonne. Il faudra aussi, à ce moment-là, sortir de l’euro, car l’utilisation de la Banque de France pour consentir des avances au gouvernement ne pourra s’opérer dans le cadre de la monnaie unique. Le retour au franc s’impose.

Dès lors, la politique menée par un gouvernement qui voudrait réellement mener une politique de gauche devra prendre un caractère systémique, c’est-à-dire permettre, par sa cohérence interne et externe, de sortir du système eurolibéral afin de bâtir un nouveau système internationaliste qui prendra la forme d’une immense innovation politique, démocratique, sociale, institutionnelle, économique, idéologique...

Aucune hésitation ne sera de mise, et c’est tout l’édifice eurolibéral qui devra être mis à bas. Le franc devra être non-convertible pour faire face efficacement à la fuite des capitaux, inévitable, et la rendre stérile. Le contrôle des changes et des mouvements de capitaux devra être instauré. Le franc devra être dévalué. Les banques et compagnies d’assurances, y compris les filiales de groupes étrangers installées en France devront être nationalisées. Le marché obligataire, primaire et secondaire, sera fermé. Le gouvernement devra proposer des accords de coopération commerciale avec tous les pays partenaires de la France, sur la base de la Charte de La Havane de 1948 qui se fixe pour objectif le plein-emploi dans chaque pays et pour moyen l’équilibre de la balance des paiements. Les pays qui refuseraient la mise en place de ces accords s’exposeraient alors à des mesures protectionnistes légitimes.

Ces décisions, pour donner leur plein effet, devront conduire à s’émanciper du traité de Lisbonne, soit par une désobéissance généralisée à l’ordre eurolibéral, soit par la sortie de la France de l’Union européenne. Ainsi la France redeviendra libre et sera un exemple pour les autres pays encore prisonniers de l’eurolibéralisme.

Les deux principaux candidats à l’élection présidentielle : bonnet blanc et blanc bonnet

La droite, Nicolas Sarkozy en tête, avait pendant des mois mis en avant le AAA comme étant notre « trésor national ». Il se présentait comme le garant de la sécurité et de la stabilité de la France et des Français. Mais depuis quelques semaines, alors que les marchés avaient déjà, dans les faits, abaissé la note financière de la France, le ton avait changé du tout au tout. Le Président considérait que « ce serait une difficulté supplémentaire mais ce ne serait pas insurmontable » si la France perdait son AAA. François Baroin, le ministre de l’Économie, utilisait une image au demeurant pertinente en expliquant que la « note de la France passait de 20/20 à 19/20 ».

En 2007, lors de l’élection de Nicolas Sarkozy, l’endettement de la France s’élevait à 900 milliards d’euros, soit 65% du PIB. En 2012, l’endettement prévu se situe entre 1 600 et 1 700 milliards d’euros, soit 82% du PIB. Sous le règne de Sarkozy, la dette publique a augmenté de 700 milliards d’euros. La crise n’est responsable que d’un tiers de cette augmentation, le reste provient de la politique de cadeaux fiscaux de Sarkozy.

Quant à François Hollande, il tombe dans le ridicule en proposant, dans son communiqué du 14 janvier, de créer une « agence publique indépendante pour évaluer la capacité des pays de la zone euro à rembourser leurs emprunts. » Comme s’il suffisait de changer de thermomètre pour faire baisser la fièvre ! Il propose « un retour à l’équilibre vers 2017 » et évoque la nécessité d’un « effort partagé ». Il ajoute même, dans Le Figaro du 16 janvier, que « tout ne sera pas possible ». Il propose enfin de « changer les modes d’interventions de la Banque centrale européenne au bénéfice des États et non plus seulement des banques. » Dans Le Monde du 14 janvier il affirme que « la sortie de l’euro signifierait, pour la France, des taux d’intérêt deux ou trois fois plus élevés qu’aujourd’hui pour une dette qui se trouverait mécaniquement renchérie de 20 à 30%. Le résultat ce serait l’asphyxie. »

On comprend dans ces propos que la politique que se propose de mener monsieur Hollande, sur le fond, ne sera pas très différente que celle menée par monsieur Sarkozy. La seule différence tient au fait que François Hollande voudrait que la BCE prête directement aux États. Il sait très bien que c’est interdit par le traité de Lisbonne. Il sait aussi que cette réforme ne verra jamais le jour car elle requiert l’accord unanime des 27 pays membres de l’UE, et que ces derniers sont divisés sur le sujet. Mais alors, pourrait-on se demander, pourquoi faire une proposition dont on sait à l’avance qu’elle n’aura aucune chance d’aboutir ? Parce qu’elle permet de donner le change et de faire croire à ceux qui voudraient se laisser abuser, que le candidat Hollande porte des propositions crédibles alors qu’en réalité il se refuse à toucher au système.

Seul le Front de gauche pourrait offrir des perspectives, mais il commet une erreur d’analyse en confondant les causes et les conséquences, en mettant sur la tête ce qui devrait être sur ses pieds

Dans ce cloaque, le Front de gauche est la seule force politique à la gauche du Parti socialiste susceptible de rassembler la gauche radicale. C’est là que l’on retrouve les opposants de 2005 au traité constitutionnel européen. Mais le soutien au Front de gauche ne peut se faire pour l’instant que par défaut, ses analyses et propositions étant encore très loin de ce qu’il serait nécessaire pour sortir vraiment de la crise. Sa coupure avec les aspirations des classes populaires reste considérable.

Un cas d’école particulièrement pathétique est fourni par le communiqué de Jean-Luc Mélenchon du 13 janvier que l’on peut lire sur son blog et qui mérite d’être repris intégralement :

« L’agence de notation Standard & Poor’s déclare la guerre de la finance contre la France. Il faut résister. Se coucher devant la finance aiguise son appétit. La capitulation grecque l’a prouvé. Il faut rendre les coups. La Banque Centrale doit annoncer immédiatement qu’elle prêtera à la France à un taux très bas. Faute de quoi il faut suspendre les versements français au budget de l’Union européenne et couvrir les prochaines tranches avec un emprunt forcé sur les banques françaises qui viennent d’être gavées par la BCE. La guerre entre la finance et le peuple est déclarée. Chacun doit choisir son camp, sans tergiverser. »

Certes, on peut comprendre qu’une campagne pour l’élection présidentielle se fait aussi par l’inflation verbale et les formules rhétoriques. Mais la forme n’a d’intérêt que si elle s’articule avec le fond. Or, en l’espèce, de fond il n’y a point.

L’agence de notation S&P, née en 1860, n’a jamais déclaré la guerre à la France ! La première notation de la France par S&P date de 1975, deux ans après la loi de 1973 qui a interdit à la Banque de France de faire des avances au Trésor. Loi que le programme du Front de gauche, hélas, ne propose pas d’abroger. Ce n’est d’ailleurs pas seulement la France qui voit sa note financière abaissée, ce sont 9 pays de la zone euro. S&P a fait son métier et s’est appuyée sur une analyse qui devrait être approuvée par… la gauche !

Les agences de notation n’ont qu’un rôle tout à fait secondaire dans le système. Faire croire au public que l’on peut briser le système en s’attaquant aux agences de notation est une mystification. C’est au système qu’il faut s’attaquer, et tous ceux qui prennent les agences de notation comme bouc émissaires veulent ainsi se donner une apparence de radicalité à bon compte alors qu’en réalité ils veulent masquer leur soutien au système de l’Union européenne, de l’euro et des marchés financiers. Les agences de notation doivent disparaître. Mais pour y parvenir, il faut faire disparaître préalablement les causes qui les ont fait apparaître : les marchés financiers. C’est bien parce que les dirigeants du Front de gauche ne veulent pas remettre en cause l’euro qu’ils sont conduits à ces diversions.

Ajoutons que le mot « guerre » ne peut pas être utilisé à la légère. Si vraiment les agences de notation avaient déclaré la guerre à la France, ce ne sont pas les rassemblements ridicules organisés à Paris devant le siège de S&P, rassemblant quelques dizaines de militants, qui pourraient laisser espérer la moindre chance de victoire. Le Front de gauche avait ainsi convoqué un rassemblement devant le siège de S&P à Paris le vendredi 13 janvier en soirée, « en réaction à la dégradation de la note de la France ». Quelle piètre « résistance » face à cette guerre qui aurait été déclarée à la France !

Précisons aussi que cette proposition consistant à ce que la BCE prête aux États est le summum de l’hypocrisie. Jamais une telle mesure ne verra le jour car il faudrait pour cela inverser de fond en comble toute la logique de l’Union européenne et mettre d’accord 27 pays dont les convictions néolibérales ou socio-libérales ne sont plus à prouver. La seule vertu de cette pseudo-revendication est qu’elle est socialo-compatible, le PS l’évoquant aussi. Pour préparer un gouvernement PS-Front de gauche ?

Pour preuve de cette socialo-compatibilité : Marie-Christine Vergiat, députée européenne Front de gauche, appelle à propos du gouvernement hongrois, à bloquer « les financements de l’Union européenne quand les grands principes de l’Union sont bafoués. » (L’Humanité, 16 janvier 2012). Les « grands principes de l’Union » ? Lesquels ? La concurrence libre et non faussée ? La libéralisation tous azimuts ? L’indépendance de la Banque centrale européenne ? L’interdiction de faire entrave à la liberté de circulation des capitaux ? C’est un véritable cauchemar que de lire de tels propos.

L’Humanité a choisi de cibler S&P. C’est une erreur. L’éditorial du 16 janvier s’émeut que les agences de notation, « directement contrôlées par des fonds financiers, les servent avec zèle ». Mais elles ont été créées pour cela ! Comment s’en étonner ? Une journaliste, en page 3, affirme que « loin de rompre avec ses dogmes libéraux, S&P accélère la cadence au moment où se tiennent des rencontres entre les gouvernements et les syndicats ». La journaliste insiste sur des faits tout à fait exacts, des erreurs nombreuses et énormes des agences de notation pour constater que « la démonstration est une fois de plus faite que les trois agences de notation […] font preuve d’un aveuglement calculé afin de ne jamais alerter sur les conséquences des choix de gestion et des politiques néolibérales, au grand bonheur des spéculateurs ». Mais ce n’est pas leur métier, S&P a eu raison d’abaisser les notes de ces trois pays !

Dans le communiqué de Jean-Luc Mélenchon il y a néanmoins une chose nouvelle et intéressante qui ne figure pas dans le programme du Front de gauche. Il s’agit de ce qu’il appelle « l’emprunt forcé ». J’en suis particulièrement content car je dis la même chose depuis des années sous une forme différente en parlant d’obliger les banques et compagnies d’assurance à acheter des quotas de titres d’État. Mais il faut voir large et inscrire cette mesure dans un ensemble de mesure faisant système, si on veut vraiment s’attaquer au système. Ainsi, il faut faire défaut et ne plus rembourser les dettes, sauf exceptions (voir plus haut). Les marchés financiers cesseront de prêter à la France. Tant mieux (il n’y aura plus besoin des agences de notation !). Il faudra donc trouver d’autres moyens de financer les investissements publics : l’appel à l’épargne ; la fiscalité ; des quotas de titres d’État achetés obligatoirement par les banques et compagnies d’assurance ; les avances de la Banque de France. Aucune de ces trois mesures ne peut être séparée. Aucune n’est permise par le traité de Lisbonne. Toutes sont nécessaires à la sortie de crise et imposent la sortie de l’euro.

Si le Front de gauche veut véritablement décoller, il doit parler vrai et remettre sur ses pieds ce qu’il a mis sur la tête.

 

 

Annexe : La pyramide des notes chez Standard & Poor’s

AAA : Risque quasi-nul
AA : Haute qualité de solvabilité
A : Bonne qualité
BBB : Solvabilité moyenne
BB : L’emprunt devient spéculatif
B : Probabilité de remboursement incertaine
CCC : Risque très important de non-remboursement
CC : très forte probabilité de non-remboursement
C : Emprunt très spéculatif
D : situation de faillite de l’emprunteur

Jacques Nikonoff est porte-parole du M’PEP et ancien président d’Attac. Derniers ouvrages publiés : « Sortons de l’euro ! Restituer au peuple la souveraineté monétaire » (Mille et une nuits, 2011) – « La confrontation. Argumentaire anti-FN » (Le Temps des Cerises, 2012).

 

 

 

 

 

 

 

source couriel

vignette eta


Publié dans ANTI-SARKO

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